miércoles, junio 28, 2006

Entretien avec Raul Reyes à l'Huma

L'Humanité
"Nous aspirons à la réconciliation...mais le président Uribe a rompu le dialogue. »

Colombie . Raul Reyes est commandant des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Il explique à notre envoyée spéciale les raisons de la lutte armée de son organisation. Le numéro 2 de la guérilla nous parle d’Ingrid Betancourt, retenue comme otage depuis quatre ans, et qui, nous assure-t-il, « va bien ».

Colombie, envoyée spéciale.

Le président Alvaro Uribe a évoqué un possible échange humanitaire entre les otages et les membres de la guérilla prisonniers. Êtes-vous disposé à négocier ?

Raul Reyes. Nous avons proposé de démilitariser deux municipalités mais Alvaro Uribe a refusé. La direction des FARC en a pris bonne note et en a proposé deux autres : Pradera et Florida, dans le Valle del Cauca. Les opérations militaires se sont poursuivies. Mais nous continuons dans la voie du dialogue et de la paix. Nous avons parlé de ces blocages avec les pays amis dont la France et la Suisse. Le gouvernement espagnol est également dans ce groupe.

Quelles sont les conditions de l’échange et combien d’otages sont-ils concernés ?

Raul Reyes. Pour des raisons de sécurité de nos forces et des prisonniers, les FARC ne dialogueront pas s’il n’y a pas démilitarisation de deux municipalités. Ce gouvernement passe son temps à renier ses promesses, à offrir de l’argent et à assassiner. La confiance est perdue.

Supposons qu’il y ait démilitarisation...

Raul Reyes. Personne ne peut garantir qu’un accord soit signé en soi. Il faut un processus. Les FARC sont disposés à délivrer Ingrid Betancourt, les trois agents de la CIA, tous les commandants et les policiers prisonniers retenus depuis plus six ans, des dirigeants politiques comme les députés du Valle del Cauca. Cela concerne à peu près cinquante personnalités. Nous demandons en échange la libération de tous les guérilleros et guérilleras qui, au moment de la signature de l’accord, se trouvent privés de liberté, y compris Simon Trinidad et Sonia, extradés aux États-Unis.

Comment va Ingrid Betancourt ?

Raul Reyes. Ingrid Betancourt va bien. Bien dans la mesure de l’environnement dans lequel elle se trouve. Ce n’est pas facile quand on est privé de liberté. Mais c’est une femme intelligente, affable... Elle n’a jamais été capturée parce qu’elle est française et encore moins à des fins économiques. Elle l’a été pour obtenir la libération de quelque 500 guérilleros. Cela entraîne des implications, des préoccupations. Elle voit qu’Uribe n’est pas intéressé par un échange humanitaire. Il a tout fait pour employer la force sans se préoccuper du fait que les prisonniers peuvent être tués au cours de ces sauvetages. Uribe réélu, les prisonniers voient s’éloigner la possibilité d’un accord. C’est une situation stressante. Mais aussi pour nos camarades en prison. Simon Trinidad se trouve en isolement total aux États-Unis. Les guérilleros, les prisonniers politiques et leurs familles respectives, tous attendent un accord humanitaire.

Peut-on la voir ?

Raul Reyes. Ceux qui veillent sur elle la voient. Moi non plus, je ne la vois pas...

Au-delà de l’échange humanitaire, comment comptez-vous parvenir à un accord de paix plus général ?

Raul Reyes. Pour obtenir la paix, il faut un gouvernement sérieux, responsable qui en ait la volonté. Nous avons proposé pour dialoguer la démilitarisation de deux départements : le Caqueta et le Putumayo. Que le gouvernement combatte tant qu’il le veut mais qu’il démilitarise une zone pour discuter avec une marge de sécurité. Lors du gouvernement d’Andres Pastrana (1998-2002), nous sommes parvenus à signer l’agenda des douze points (programme visant à l’amélioration de la situation politique, économique et sociale du pays - NDLR). Mais Uribe a décidé de rompre avec tout cela. Il en a donc fini avec le dialogue. Et de qualifier les FARC de terroristes. Le futur est dans la recherche de la paix, mais la paix sans la faim, une paix pour la justice sociale, la liberté, la souveraineté et le respect du peuple.

Dans ces conditions que vous inspire la - réélection d’Alvaro Uribe ?

Raul Reyes. Sa victoire est un feu d’artifice. Le fait le plus significatif est l’abstention (65 %). Aucun des candidats n’est parvenu à motiver les 26 millions d’électeurs. Les problèmes économiques et structurels persistent ainsi que la dépendance vis-à-vis des États-Unis. Le nouveau gouvernement est minoritaire, et donc illégitime. Un fleuve de dollars issu du patrimoine national mais également du narco-trafic des paramilitaires a irrigué la campagne d’Uribe. Ce gouvernement a obtenu également des votes sur la base de pressions, de menaces et de chantages. La crise est énorme.

Le président Uribe se targue de la « démobilisation » des paramilitaires...

Raul Reyes. C’est une pseudo-réinsertion. Dans les faits, c’est la légitimation du paramilitarisme, l’institutionnalisation du terrorisme d’État. Mettant à profit cette situation, les « paras » blanchissent les dollars issus du narco-trafic.

On vous reproche également de verser dans le narco-trafic...

Raul Reyes. Notre financement provient de l’impôt révolutionnaire. La séance plénière de notre état-major a approuvé et rendu publique, en 2000, une loi dite de « contribution ». Elle stipule que les personnes qui possèdent plus d’un million de dollars doivent apporter 10 % à la lutte révolutionnaire. Nous ne vérifions pas l’origine du capital, s’il provient du commerce de café ou du blanchiment de l’argent.

Et dans les départements où les plantations de coca sont importantes ?

Raul Reyes. Les FARC ne demandent pas d’impôts aux paysans cultivateurs de coca, de soja ou de café. La loi s’adresse à ceux qui ont un grand patrimoine. À l’origine les FARC interdisaient, là où nous possédions des fronts, que les gens cultivent la coca. Mais c’est devenu un problème social. Les paysans nous disaient : « Vous luttez pour nous, mais si vous nous empêchez de planter la coca, de quoi allons-nous vivre ? » Nous avons dû changer de politique. L’ennemi dit que nous les contraignons à cette culture. La réalité, c’est que les gens n’ont pas d’autres moyens pour survivre. Depuis l’application du modèle néolibéral, le café a cessé d’être le premier produit de l’économie, faute de pouvoir rivaliser avec des cafés moins cher. Des paysans ont déclaré qu’ils étaient prêts à arracher les plantations si le gouvernement leur garantissait une économie alternative. Nous les soutenons dans cette volonté.

La gauche est devenue la deuxième force politique. Quel regard portez-vous sur ce résultat ?

Raul Reyes. Le résultat du Pôle démocratique alternatif (PDA) est d’autant plus appréciable qu’il a dû mener campagne en surmontant beaucoup de difficultés, de persécutions. La construction d’une force alternative à la droite est un bon principe. Une gauche conséquente, combative, doit germer en faveur des intérêts de la nation, de la conquête du gouvernement et du pouvoir.

N’est-ce pas contradictoire que de s’affirmer pour la paix les armes à la main ?

Raul Reyes. Les FARC se défendent d’une guerre que l’État a déclenchée contre le peuple. Nous sommes issus du peuple. Des jeunes, des femmes et des hommes révolutionnaires, communistes, nous rêvons d’une nouvelle Colombie démocratique, pluraliste, construite en adéquation avec le XXIe siècle. Où les enfants ne meurent plus de faim dans les rues, où les États-Unis ne piétinent plus notre souveraineté. Une Colombie où il existerait une redistribution égalitaire des richesses, où l’on respecterait les droits des indigènes, de la jeunesse, des femmes et des personnes âgées.

On accuse également les FARC d’être responsables d’exactions.

Raul Reyes. On nous accuse de tout. Mais l’on ne peut pas nous accuser de trahir les idéaux colombiens. Nous ne nous soumettrons pas à la bourgeoisie et à l’oligarchie colombiennes. Il y a des régions où les services de renseignement militaire sont de mèche avec les paramilitaires. Ceux-là se font passer pour des civils et assassinent des amis des FARC et au-delà. Lorsque nous arrivons dans ces régions, nous les chassons. La lutte des FARC n’est pas contre les civils. Dans la guerre, il y a des « dommages collatéraux ». Cela ne devrait pas exister mais dans la pratique... Lamentablement, il faut aussi reconnaître que des erreurs ont été commises. Il faut trouver les solutions pour éviter qu’elles ne se reproduisent.

Toutes les guérillas d’Amérique centrale ont déposé les armes et se sont réinsérées dans la vie politique légale. Pourquoi pas en Colombie ?

Raul Reyes. Il n’y a pas d’autres manières de lutter. Lorsque les FARC ont signé un accord de paix en 1984, avec le gouvernement de Belisario Betancur, nous avons lancé l’Union patriotique, avalisée par le gouvernement. L’ultradroite, celle-là même qui gouverne avec Uribe, a assassiné les dirigeants de l’UP à commencer par Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo, candidats à la présidentielle, sans compter les milliers de militants tués. Les FARC ne luttent pas pour elles. Nous demandons des solutions aux problèmes qui affectent la société colombienne, exclue de l’exercice du pouvoir, réprimée par l’appareil d’État, exploitée par les multinationales et l’appareil gouvernemental. Pour les FARC, les armes, imposées par nos ennemis, sont un moyen pas une fin. Nous aspirons plus tôt que tard à une Colombie différente, à un gouvernement pluraliste de réconciliation nationale.

Entretien réalisé par Cathy Ceïbe

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