jueves, agosto 16, 2007

Quand la Sicile était musulmane



Quand la Sicile était musulmane

De 831 à 1071, Palerme fut une ville musulmane. Reconquise au XIIe siècle par des hobereaux normands (les fils de Tancrède de Hauteville), la Sicile connut – en particulier sous Roger II, grand admirateur de la culture musulmane – un important rayonnement grâce à la connivence interculturelle et interreligieuse qui y régnait. A Palerme, l’administration des rois normands était cosmopolite : elle rassemblait, en plus des Normands, des Grecs, des Lombards, des Anglais et des Arabes. Ce syncrétisme se retrouve dans l’art de l’époque. La culture et la langue arabes y demeuraient très présentes. L’île connut ainsi une période de prospérité, notamment dans l’agriculture. Mêlés, les croyants chrétiens et musulmans cohabitaient en bonne intelligence, sous l’égide du roi Roger II – alias « sultan Rujari » –, protecteur d’érudits et d’artistes de toutes confessions.

Il n’est donc pas étonnant que l’intellectuel britannique, d’origine pakistanaise, Tariq Ali, figure éminente de la gauche antilibérale contemporaine, ait choisi un tel personnage pour transmettre, par le biais d’un récit toujours passionnant, ses idées sur les convulsions du monde contemporain. Exemple : ce commentaire d’un des personnages principaux, Idrissi, géographe, médecin et grand ami du « sultan », qui lui prêtait sa bibliothèque pour ses recherches : « C’est curieux comme, depuis cinq cents ans, le sort des Juifs est si souvent lié à notre propre avenir. Là où nous souffrons, ils souffrent. Là où nous prospérons, ils prospèrent (...). C’est la même histoire ici, en al-Andalus, en al-Quds [Jérusalem], à Bagdad, au Caire et à Damas. »

Les premières lignes constituent une fine description de l’angoisse de tout écrivain – déjà évoquée par Stéphane Mallarmé et par Roland Barthes – au moment où il commence la rédaction d’un roman. Idrissi se retrouve confronté à une telle situation : « Il savait d’instinct, et aussi pour avoir travaillé sur de vieux manuscrits, que la première phrase est décisive. Comme les Anciens comprenaient bien cela ! Avec quel soin ils choisissaient leurs commencements, et avec quelle facilité leur travail devait progresser une fois cette décision prise. Où commencer ? Par quoi commencer ? » Avec cet habile artifice, Ali entre dans la peau de son propre personnage et réussit l’entame d’un superbe roman d’aventures aux allures picaresques et aux séduisants parfums des Mille et une nuits : croustillantes histoires d’amour, secrets d’alcôve, intrigues politiques et profusion de scènes rabelaisiennes.

Protecteur des musulmans contre l’intransigeance de l’Eglise et la cupidité des barons lombards, Roger II arrive en fin de règne ; il avoue à Idrissi que, pour satisfaire les notables normands dont il a besoin pour assurer sa succession, il va sacrifier Philippe, le plus respecté de ses conseillers musulmans. On assiste alors au procès trafiqué et à la mise à mort de l’innocent.

A partir de ce meurtre, le rapport entre les deux communautés n’a rien à envier à certains événements contemporains : prises d’otages, viols, assassinats, sans que rien ni personne ne puisse arrêter l’escalade des violences. Après la mort de « Rujari », un massacre de musulmans a lieu à Palerme ; Idrissi décide de quitter l’île et de se rendre dans la capitale des califes, de se mêler aux poètes et aux philosophes, et d’écrire de nouveaux livres dans la Maison de la sagesse. Il ira donc en Irak, à Bagdad, « la ville qui sera toujours à nous. La ville qui ne tombera jamais ». Et il insiste : « Qui ne tombera jamais ! »

Ramón Chao.

Le Monde Diplo

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