En confortant une présidence omnipotente, la gauche s'est empêchée de prôner une autre vision du pouvoir.
Le triomphe du bonapartisme
Par Paul ALLIES
QUOTIDIEN : lundi 7 mai 2007
Paul allies professeur de sciences politiques à l'université de Montpellier.
Dernier ouvrage paru : le Grand Renoncement. La Gauche et les Institutions de la Ve République, Textuel, 2007.
Cette élection présidentielle pourrait bien être le triomphe absolu du bonapartisme, cette culture politique dont la France ne parvient décidément pas à se défaire. Nicolas Sarkozy en est l'incarnation à lui seul. Il résume jusqu'à la caricature la modernisation de cette «société du 10 décembre» qui fit le succès, en 1848, de Napoléon le Petit : déjà à l'époque, elle ajoutait de la violence symbolique et privée au monopole étatique de la force. Mais la postérité du bonapartisme va bien au-delà des personnes. Elle s'est forgée dans et par les institutions ; pas tant dans l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel direct que dans la concentration exceptionnelle de tous les pouvoirs en ses mains. De ce point de vue, l'histoire de la Ve République restera celle d'une accumulation progressive de puissance d'une seule autorité au prix de la dévitalisation des moindres contre-pouvoirs. Même celui que les journalistes avaient construit est en train de produire par connivence ou servitude volontaire une nouvelle oligarchie. Se refonde ainsi toujours plus l'espace du pouvoir où le centre reste la cité interdite à la société civile tandis que sa périphérie est abandonnée à ses ennemis.
La gauche va-t-elle s'installer dans ce système, en se contentant par exemple de gérer les collectivités locales ? Elle a grandement contribué à la légitimation de ce présidentialisme depuis que François Mitterrand su la convaincre d'en utiliser les ressources à la fois pour accéder au pouvoir et pour l'exercer sous des formes diverses pendant dix-neuf ans en le conservant intact. Au terme de ses deux septennats, il avertissait pourtant que «ces institutions étaient dangereuses avant [lui] et le resteraient après [lui]». Pourtant la gauche n'en tira aucune conséquence : elle mit en oeuvre en 2000 le «quinquennat sec» renforçant l'ascendant du président sur la majorité parlementaire ; elle inversa en 2001 le calendrier électoral afin de restaurer tous les effets de la présidentielle sur les législatives. Elle s'est même vantée à l'époque de «restaurer l'esprit de la Ve République», c'est-à-dire ni plus ni moins celui qui a fonctionné si bien contre elle aujourd'hui. Dans les facteurs qui ont joué contre Ségolène Royal, il en est un qui a constamment été exploité, c'est celui de l'inadéquation de son genre, de son (in)expérience mais aussi du style de présidence annoncée avec la nature de la présidence réelle. Il lui reviendra le mérite d'avoir, pour la première fois dans ce genre d'élection, ouvert la perspective d'une nouvelle République où la présidente ne pourrait pas tout. Elle en a même exploré les contours avec François Bayrou entre les deux tours. Or faut-il rappeler que le PS jusqu'à son congrès en décembre 2005 en avait catégoriquement exclu l'hypothèse ?
La leçon de ce scrutin est donc claire. La gauche ne réussira pas son aggiornamento si elle continue à faire l'impasse sur la refondation démocratique de la République, si elle ne rompt pas nettement avec la logique bonapartiste du régime en place. Elle n'aura pas de crédibilité parmi les électeurs du «nouveau centre» et au-delà si elle n'ouvre pas le chantier d'une réorganisation en profondeur du pouvoir. Cette tâche devient historique tant la France est aujourd'hui le système le plus exotique, le plus anachronique et archaïque de toute l'Union européenne.
Abandonner la Ve République, c'est tourner la page d'un régime marqué du sceau de l'empire colonial et de l'indifférence à la construction d'une Europe politique. C'est annoncer le mariage du parlementarisme majoritaire avec l'initiative citoyenne et la démocratie participative en accord avec la décentralisation générale de la société. Abandonner la Ve République c'est rendre justice à Pierre Mendès France qui disait : «Je mets au défi quelque homme politique que ce soit d'entreprendre demain une authentique démocratisation de l'enseignement, de modifier la répartition du revenu national au profit des classes défavorisées, d'assurer le contrôle par la puissance publique des positions dominantes de l'économie, d'assurer le respect des libertés fondamentales et des droits de l'homme [...] si les problèmes institutionnels n'ont pas d'abord reçu une solution correcte, si l'on n'a pas fait le choix des leviers qu'il conviendra d'employer.» Ces propos d'il y a quarante ans doivent être, pour ces prochaines années, le viatique de la gauche sur le chemin de sa modernisation.
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