C’est sous ce titre que l’écrivain Julio Cortazar écrivait au Monde dans les années 80 pour lui reprocher son refus de voir les avancées de la révolution sandiniste au Nicaragua. Dès que la liberté y avait abandonné le champ philosophique et s’était transformée en réalité pour des milliers de paysans sans terre, de coupeurs de bananes, d’enfants promis à la tuberculose, la machine médiatique s’était mise à fabriquer le « totalitarisme sandiniste ». Jouant du piano à quatre mains avec ceux qui finançaient les attaques meurtrières de la « contra », le Figaro Magazine puis le Monde (sous la plume d’un certain de la Grange) ne s’étaient rien refusé, inventant de soi-disant « charniers sandinistes », démentis par la suite par Amnesty International. La guerre médiatique ne cessa que le jour où, vaincus électoralement, les sandinistes remirent le pouvoir à l’opposition. Les éditoriaux applaudirent alors les « grands démocrates » dont ils juraient la veille qu’ils s’éterniseraient au pouvoir en bons « marxistes totalitaires ». Les correspondants firent leur valise. Le Nicaragua disparut du champ médiatique tandis qu’on reprivatisait la santé, reprenait les terres aux paysans et que revenait au galop le cortège de mortalité infantile, de prostitution, d’analphabétisme. Le tiers de la population émigra du pays redevenu « libre ».
Comment ne pas se souvenir des protestations sans réponse de Cortázar au Monde, en voyant ce soir de janvier 2007, le peuple sacrifié revenir sur cette place de Managua où Daniel Ortega assume la présidence ? A ses côtés, Hugo Chávez interroge la foule : « Imaginez un instant ce que serait ce pays aujourd’hui, sa santé, son éducation, si on n’avait détruit sa révolution ? ». Les 32 centrales électriques que le Venezuela envoie immédiatement au Nicaragua produiront 60 mégawatts, mettant fin au cauchemar quotidien des coupures de courant. Des tracteurs suivent déjà, comme ceux envoyés en Bolivie. Le correspondant du Monde, un certain Nicolas Bourcier, est soulagé : « Un feu d’artifices conclut la cérémonie. Ortega s’en va. Pas une fois, il n’a prononcé le mot “révolution” » (12.01.2007). Ortega a bien prononcé le mot, évoquant le boom de l’analphabétisme sous l’ère néo-libérale.
Depuis huit ans, Garbo est vénézuélienne mais le Monde refuse toujours de lever les yeux. La technique est immuable. Minimiser les réformes sociales, les politiques Sud-Sud et la démocratie participative pourtant sans précédent. Occulter les idées et l’engagement des millions de citoyen(ne)s qui en bénéficient. Marteler que Chávez surfe sur le pétrole, qu’il n’a donc aucun mérite. Et que si ce « national-populiste » n’est pas encore dictateur, c’est qu’il le deviendra.
Décembre 2006. En pleine liesse populaire, Hugo Chávez repart pour un nouveau mandat, réélu avec 62,8 % des votes et un taux record de participation. Avec une dizaine d’élections en huit ans validées par les observateurs, Chávez « injecte une forte dose de vitamines démocratiques á l’Amérique Latine », dit l’écrivain Eduardo Galeano. Au moment où le gouvernement français veut privatiser le gaz et l’électricité, exposant sa population à payer plus, Hugo Chávez, plus démocrate et visionnaire, respecte ses promesses. Il ordonne la nationalisation de la compagnie d’électricité et de celle du téléphone, la récupération de toutes les industries-clefs privatisées par les gouvernements précédents, le renforcement du contrôle de l’État sur l’industrie pétrolière et sur la Banque centrale en vue d’accélérer le développement du pays, la démocratisation accélérée de l’État par l’octroi de nouveaux pouvoirs aux Conseils communaux et la convocation d’une assemblée constituante.
« Vous avez aimé Castro ? Vous aimerez Chávez », répond le Monde (19.12.2006), qui traite le président vénézuélien de « n’importe-quoi-iste » et de « caricature du populisme ». Aux envoyés spéciaux de donner un semblant de « couleur locale » à cette ligne. La liste de leurs mensonges est longue. La palme revient à un certain Paulo A. Paranagua, ex-membre d’un groupe armé argentin qui admirait Cuba dans les années 70, et qui a retourné sa veste depuis. En l’embauchant, Edwy Plenel s’est sans doute rappelé qu’un nouveau converti est toujours plus fanatique qu’un original de droite. Mais sa rage ne s’explique pas seulement par l’expiation d’un passé gauchiste. L’image des avant-gardes armées prend un coup de vieux à l’heure où les peuples construisent eux-mêmes, à travers des assemblées constituantes, le socialisme du XXIe siècle. Paranagua punit ces peuples trop intelligents à coup d’épithètes. Evo Morales et ses indiens ? « Incultes et illettrés ». Les Vénézuéliens ? « Des buveurs de whisky, fascinés par les Etats-Unis ». En janvier 2005 il annonce l‘annulation d’un sommet entre Evo Morales et Hugo Chávez, à la suite de « tensions » entre les deux gouvernements. C’est faux. Le sommet se tient quelques jours plus tard à Caracas, jetant les bases d’une coopération qui n’a cessé de croître dans tous les secteurs.
Le 09.01.2007, dans « les raisons de la popularité de Chávez », le Monde attaque la victoire « apparemment » démocratique du président. Un peuple qui vote contre le néolibéralisme, ça n’existe pas, ni en France ni au Venezuela. Chávez se maintient au pouvoir par une force magique, au-delà des urnes. En 2004 déjà, Sylvie Kauffman découvrait que « Hugo Chávez est doué d’un instinct de survie exceptionnel » et qu’il « est passé maître dans l’art de manœuvrer ». Cette fois, le Monde reprend les thèses de Alfredo Ramos Jimenez et de Carlos Romero, cautions universitaires et ultra-conservatrices de la droite vénézuélienne :
« Le nombre de spots télévisés et de pages de publicité » en faveur de Chávez. Le Monde ne dit pas qu’au Venezuela, 95 % des chaînes de télé, radio et presse écrite, sont aux mains de l’opposition et des transnationales. Beaucoup de ces médias ont été impliqués dans le coup d’État sanglant de 2002. Cette « dictature médiatique » rend d’autant plus remarquable la victoire de Chávez.
« Revêtir la chemise rouge et participer aux mobilisations”chavistes” est une obligation à laquelle on ne saurait se soustraire, sous peine de perdre l’emploi ou l’aide publique ». De plus, il y a « 1,3 millions de votants dont l’adresse ne figurerait pas sur les listes ». Le Monde ne dit pas qu’au Venezuela le vote est secret, ni que cette campagne quotidienne des chaînes commerciales de l’opposition sur le thème de la « cubanisation » ou de la « fraude » a fait sourire les observateurs et experts électoraux du monde entier. L’Organisation des États américains (OEA), l’Union européenne, l’Asociación de Juristas Latinoamericanos et le Centre Carter, ont qualifié le processus électoral de décembre 2006 de « transparent, équitable et démocratique ».
« 2 millions d’électeurs naturalisés - essentiellement des Colombiens ». La République bolivariennne a, ces dernières années, réglé une vieille dette démocratique en régularisant les étrangers qui prouvent légalement qu’ils vivent et travaillent depuis dix ans au Venezuela. Passer de la clandestinité à la citoyenneté, c’est pouvoir ouvrir un compte bancaire, signer un contrat, louer une maison, inscrire ses enfants a l’école, et voter. Le Monde suggère-t-il de rétablir le suffrage censitaire pour sauver la démocratie ?
Le Monde attaque ensuite la politique du gouvernement bolivarien :
« Les missions éducatives sont des palliatifs qui ne modifient pas une éducation nationale défaillante ». C’est faux. Grâce à la Mission Robinson, le Venezuela a été déclaré par l’UNESCO territoire libre de l’analphabétisme en novembre 2005. Le gouvernement a supprimé le paiement de droits d’inscription dans les écoles publiques, construit 650 nouvelles écoles et pris en charge 10.000 de plus. Il a créé l’Université bolivarienne qui accueille les secteurs populaires exclus jusqu’ici des études supérieures, où 400.000 jeunes étudient grâce à la Mission Sucre. Record historique, 12 millions de Vénézuéliens, près de la moitié de la population totale, étudient.
« Quant au logement décent auquel aspirent des millions de Vénézuéliens, le gouvernement a échoué à lancer un programme de construction digne de ce nom ». C’est faux. En 2006, le gouvernement a investi 6,6 milliards de bolivars, construit 13.068 logements nouveaux et veut en construire 200 000 en 2007. La baisse du taux d’intérêt hypothécaire, passé de 35 % avant 1998 à 5 % actuellement, a permis l’accès au logement à plus de 73.000 familles.
« L’absence de plan de développement susceptible de créer des emplois en nombre suffisant pour faire baisser le chômage, déguisé par le truquage des statistiques et par l’économie informelle ». C’est faux. La première année, Chávez trouve un chômage à 15,3 %. En 2002-2003, le coup d’État et le sabotage économique font exploser ce taux à 19,2 %. En quatre ans, grâce aux mesures gouvernementales, le chômage a perdu 10 points, tombant à 9, 6 %.
« Le gouvernement “arrose” tous azimuts, que ce soit par les programmes sociaux, la corruption, le crédit bon marché ou les cadeaux faits aux banques. » C’est faux. Loin d’acheter la « paix sociale » comme le faisaient les gouvernements antérieurs, le gouvernement Chávez assortit les crédits, les missions (Vuelvan Caras, Madres del Barrio, etc..) de formations et de mécanismes de soutien par lesquels les bénéficiaires peuvent créer des activités socio-productives.
Le 11.12.2006, le Monde affirme que « Chávez n’a pas réussi à faire baisser la pauvreté ». C’est faux. En sept ans de révolution, le nombre de foyers pauvres a baissé de 49 % à 33 %. A quoi il faut ajouter l’accès gratuit aux soins, à l’éducation, au logement. Le salaire minimum est passé de 36 dollars en 1996 à 238 dollars en 2006, soit une augmentation de 560 %. Sous les gouvernements antérieurs, l’augmentation ne dépassait jamais l’inflation, ce qui la rendait fictive. Dans « Au Venezuela, viva la corrupción ! » (01.01.2007), le Monde va plus loin et affirme sans preuve que le président Chávez « a l’habitude de voyager à l’étranger avec des valises de pétrodollars ». Puis il part du fait que l’orientation du FONDEN, Fonds de Développement National se trouve constitutionnellement sous l’autorité du chef de l’État pour en faire « une grosse tirelire dont l’usage dépend exclusivement du président de la République et du ministre des Finances », « sans règles connues ni obligation de publier ses entrées et ses dépenses ». C’est faux. Les réserves internationales, en augmentation constante grâce aux cours du pétrole, n’appartiennent pas à la Banque centrale mais à la République, laquelle consacre enfin les excédents (au-delà d’un plafond de 29,9 milliards de dollars) à de multiples programmes sociaux en faveur de millions de Vénézuéliens. Ce samedi 13 janvier, comme chaque année, le président Chávez a présenté à l’Assemblée nationale le bilan de la gestion 2006, rendant compte de la dépense publique. Cet épais document, accessible par tous, détaille les projets financés par le FONDEN.
Evidemment, dans un libre marché en pleine croissance et compte tenu de la culture héritée des régimes antérieurs, la corruption a fait des progrès. Tout le Monde, à commencer par le président Chávez, le souligne. Mais le Monde veut convaincre le lecteur que « la corruption découle de la facon de gouverner de Chávez ». En oubliant de dire que contrairement à l’époque de Carlos Andres Perez (social-démocrate populiste), le gouvernement n’est plus nommé par l’entreprise privée. Le 9 janvier 2007 (quelques jours avant que Rafael Correa, nouveau président de l’Equateur, prenne une mesure semblable) le président Chávez annonce la réduction des salaires excessifs des fonctionnaires. Il dénonce devant les députés ceux qui gagnent entre 7 et 30 millions de bolivars par mois [1], en plus des frais généraux et autres pensions multimillonnaires, et l’époque où « les ministres, les gouverneurs qui achevaient leur mandat sans s’être offert une villa, étaient vus comme des idiots alors que les corrompus étaient reconnus comme des êtres intelligents ». Tirant les enseignements de nombreux témoignages recueillis au cours de la campagne électorale, il ordonne aux ministres de passer trois jours par semaine à labourer le pays, pour dresser avec la population des rapports circonstanciés sur tout ce qui ne va pas dans les politiques publiques. A la différence de la France ou du Brésil, le Venezuela s’attaque à la corruption à travers une arme redoutable : la démocratie participative. Conscient qu’il ne peut mettre « un policier derrière chaque fonctionnaire », le gouvernement a fait adopter en 2005 la loi des Conseils Communaux qui dote les communautés du pouvoir de contrôler l’usage des fonds publics. 18.238 de ces conseils se sont déjà formés, soit des centaines de milliers de citoyens exerçant le « contrôle social » sur l’exécution des politiques publiques (éducation, infrastructures, logement, santé, agriculture, transport). En 2007 cinq milliards de dollars seront transférés et administrés par les conseils communaux dont le pouvoir sera renforcé par de nouvelles lois.
Si le Monde avait enquêté sur le terrain, il aurait remarqué de nombreux commerces fermés pendant un ou deux jours, et lu sur leur vitrine, les avis du SENIAT (fisc national) informant les badauds des fraudes commises et du manque à gagner pour les politiques d’éducation, de santé, et pour la sécurité sociale. Alors que sous les gouvernements antérieurs, la corruption annulait une grande part de la rentrée d’impôts, l’opération « evasión cero » (fraude zéro) a permis de récupérer pour le budget de l’État la somme de 52,2 milliards de bolivars.
En recyclant le cliché colonialiste du « viva la corrupción ! », le Monde conduit ses lecteurs à une grave inintelligence de ce qui se passe aujourd’hui au Venezuela, en Bolivie ou en Equateur. Simon Bolivar et Simon Rodriguez, dont se réclament aujourd’hui Evo Morales, Rafael Correa et Hugo Chávez, disaient leur refus de copier les « républiquettes » européennes. Sans pelotons d’exécution mais par la force pacifique du nombre, les assemblées constituantes refondent des républiques plus aptes à résoudre les problèmes de corruption qu’une Europe dominée par les forces du marché.
Le 08.01.2007, le Monde laisse entendre que le Venezuela s’achemine vers la création d’un « parti unique » et que « Chávez impose a ses partisans et au gouvernement une centralisation accrue ». C’est faux. Le débat, qui commence à peine, sur le parti « unido » - c’est-à-dire uni et non pas « unique » - répond au besoin de créer un grand parti de gauche (sur le modèle du Parti des travailleurs brésilien original). C’est le même défi qu’affronte Rafael Correa, qui vient d’assumer la présidence de l’Equateur après sa victoire surprise contre les partis traditionnels, celui d’unifier un mouvement politique cohérent, solide, autour de sa révolution citoyenne et de réunifier le mouvement indigène face à des partis qu’il considère comme de « véritables mafias liées à des intérêts privés ou familiaux ». Au Venezuela, il s’agit de dépasser l’électoralisme qui marquait le Mouvement Cinquième République (MVR), structure hétéroclite créée lors de la première campagne de Chávez face aux machines à frauder du bipartisme rivé au pouvoir - Acción Democrática (social-démocrate) et Copei (démocrate-chrétien). Chávez propose que ce nouveau parti de gauche, qui s’insèrera parmi une quarantaine de partis de droite et de gauche, élise ses dirigeants démocratiquement, par le vote de la base, et non par cooptation au sommet.
Paranagua cite le sociologue Edgardo Lander de l’Université Centrale du Venezuela, pour qui « l’identité entre l’État et un parti ne conduit pas à la démocratie ». Contacté par nous, Edgardo Lander s’amuse de cette manipulation : « Jamais Paranagua ne m’a contacté. Mon opinion se résume à : il faut poursuivre le débat. » [2]
Le 02.01.2007, le Monde affirme que « Hugo Chávez veut mettre au pas une télévision “putchiste” ». C’est faux. Le spectre des ondes hertziennes, qui n’est pas illimité, est un patrimoine public comme l’air, l’eau, la terre. Il n’appartient à nul entrepreneur privé mais à tous les Vénézuéliens. La concession octroyée il y a vingt ans par l’État à l’entreprise commerciale RCTV, arrive à son terme en mai 2007. Or RCTV n’a cessé d’attenter contre les institutions démocratiques en incitant à la haine, à la violence, en participant activement à la préparation et à la réalisation du coup d’État sanglant d’extrême droite du 12 avril 2002 contre le président Chávez (voir le documentaire de Kim Bartley, La Révolution ne sera pas télévisée). Tandis que le dictateur Carmona dissout toutes les institutions démocratiques et fait réprimer les partisans de Chávez, le directeur de RCTV, Marcel Granier, accourt au palais pour le féliciter et, de là, impose le black-out de la chaîne sur la résistance populaire. Certains journalistes démissionnent, comme Andrés Izarra, directeur de l’information. Lorsque la population chasse finalement les putschistes, le 13 avril, elle encercle le siège de RCTV, protestant contre la censure. En 1989 déjà, occultant les 3 000 morts que l’armée vient de massacrer sur ordre de Carlos Andrés Pérez, la chaîne appelle les Vénézuéliens à rentrer chez eux puisque « la paix est revenue ». En décembre 2002, RCTV appelle de nouveau à renverser le président Chávez, et se fait porte-parole quotidienne des militaires putschistes de la Plaza Francia puis des organisateurs du putsch pétrolier (remake de la grève des camionneurs contre Salvador Allende). De nombreuses voix avaient alors réclamé la fermeture d’un média contre lequel n’importe quel autre gouvernement aurait pris immédiatement des mesures. Celui du Venezuela a préféré attendre l’expiration légale de la concession.
Il ne s’agit donc ni de fermer RCTV, ni de l’exproprier : l’entreprise pourra continuer à émettre par câble et par satellite. Il s’agit de démocratiser la fréquence qu’elle a occupée durant le laps de la concession, en l’octroyant à une coopérative mixte de travailleurs dont les droits ont toujours été bafoués par le patron de RCTV, d’enseignants qui ont analysé les effets pervers de la violence transmise par RCTV, de journalistes que la chaîne a forcés à se transformer en vendeurs de portables ou de crèmes faciales, de producteurs indépendants exploités dans sa maquila des telenovelas, et d’organisations citoyennes ou de médias associatifs jusqu’ici exclus par racisme ou par mépris social. Des ambassadeurs africains avait protesté par écrit auprès de RCTV en mars 2004, lorsque la chaîne avait traité plusieurs chefs d’État noirs, reçus par Chávez, de « singes ».
« Atteinte au pluralisme éditorial ! », proteste Reporters Sans Frontières (RSF), cité par Marie Delcas. Quel pluralisme ? Celui du quasi monopole privé de la communication ? Dans le cas de RCTV, quoi de plus démocratique que de permettre à un collectif pluraliste de créateurs d’en faire autre chose qu’une machine à organiser des coups d’État ? S’il s’agit vraiment de défendre le « pluralisme éditorial » ou la « liberté d’expression », pourquoi le Monde ou RSF n’ont-ils pas protesté lors de la répression des médias communautaires ou de la fermeture, réelle celle-là, de l’unique chaîne publique par les putschistes de 2002 ? Pourquoi restent-ils muets sur la complicité de médias privés dans les violations des droits de l’Homme, lorsqu’ils traitent d’ « envahisseurs » ou de « guérilleros » les paysans assassinés lorsqu’ils réclament une terre pour la travailler ? Pourquoi n’enquêtent-ils pas sur le mouvement profond de démocratisation de l’information, dont le Venezuela est pour l’heure le seul exemple au monde ? Une loi pensée, mûrie avec les médias associatifs permet en effet aux organisations citoyennes d’accéder au spectre radioélectrique, le seul frein à cette démocratisation restant le quasi monopole privé des fréquences. Déjà près de deux cents radios et télés associatives (réprimées sous les gouvernements antérieurs) ont été légalisées, deux cents autres sont en voie de l’être. Sans que leur parole ne soit contrôlée par le gouvernement. Cette explosion de liberté s’accompagne de la reconstruction du service public de la télévision avec TeleSur ou Vive TV. Celle-ci transmet de nombreux programmes participatifs réalisés par les organisations populaires ainsi que des productions indépendantes, des documentaires sociaux d’Amérique latine et du monde entier. Ce nouveau mode de production d’une information « socialement utile », qui transforme les codes de la communication marchande, amorce la praxis de quarante ans de théorie critique de la communication.
En ce qui concerne RSF, le Monde ne dit pas que la première correspondante de RSF au Venezuela, Maria Sol Pérez Schael, membre de l’opposition, confiait au journal El Universal que son coeur vibrait à la vue des militaires putschistes. Ni que dans sa revue « Médias », le directeur de RSF Robert Ménard, écrivait : « Les alters ont toutes les indulgences pour l’ex-putchiste Hugo Chávez, ce caudillo d’opérette qui ruine son pays mais se contente - pour l’instant ? - de discours à la Castro sans trop de conséquences réelles pour les libertés de ses concitoyens »... Ni que la journaliste Naomi Klein a reproché à RSF de confondre liberté d’expression et liberté d’entreprise alors que la plus grande menace sur la liberté d’expression ne vient plus des États mais du monopole privé de la communication.
C’est une vielle ruse de l’Histoire que de voir des entreprises privées de communication s’autoproclamer « médias d’information ». Cela leur permet d’en appeler à la « liberté d’expression »” quand leurs intérêts sont menacés. RSF n’existait pas encore quand Armand Mattelard analysant l’alliance de la Société Interaméricaine de Presse (SIP, société de propriétaires de médias) et des grands médias chiliens dans le coup d’État contre Allende, écrivait : « L’enquête judiciaire sur l’administration du journal El Mercurio, accusé d’irrégularités fiscales, a servi de prétexte pour dénoncer de soi-disant mesures coercitives contre “la presse libre”. Le message émis par la presse de la bourgeoisie chilienne revient à sa source, renforcé par l’autorité que lui confère le fait d’avoir été reproduit à l’étranger. Nous sommes en présence d’une SIP tautologique. Sa campagne n’est qu’un immense serpent qui se mord la queue. »
Conclusion à l’heure des chacals
Une des sources écartées par le Monde, et qui caractérise pourtant le processus vénézuélien, est la critique populaire à tous les échelons. Dans les conseils communaux, dans les médias associatifs, dans les manifestations et les assemblées citoyennes, cette critique sans bâillon fait bouger les choses. Lorsqu’on demande aux Vénézuéliens ce qu’ils pensent de la révolution, surgit un flot de reproches amers sur la corruption, la bureaucratie, les promesses non tenues. Mais lorsqu’on leur demande pour qui ou pour quoi ils votent, la réponse majoritaire est : pour que continue le processus. C’est que contrairement au système antérieur, l’actuel permet de transformer la critique en changements concrets. Ce qui explique le score croissant d’un président, après huit ans de gouvernement, là où on attendrait l’usure. Si les peuples font eux-mêmes la critique, s’ils connaissent mieux que quiconque leurs problèmes et les possibles solutions, pourquoi ne pas les écouter ?
La critique du Monde est d’une tout autre nature. C’est du point de vue d’une minorité infime que le Monde attaque le fait que les réserves d’une banque centrale puissent servir le développement national, ou occulte les progrès de la souveraineté alimentaire à travers la réforme agraire, ou les nombreux bienfaits sociaux de l’intégration du Sud, à travers l’OPEP - que rejoindra sous peu l’Equateur, ou la création d`une Banque du Sud. Mais à mesure que cette politique se propage en Bolivie et en Equateur, le Monde se retrouve dans une position difficile. Sans doute, à force de mépriser le peuple et de se coupler aux mouvements de la Bourse, est-il tombé dans le même piège que les médias privés vénézuéliens : croire que le peuple n’existe pas et que l’Histoire est finie.
En France la critique des médias sème dans un terrain encore inégal, les idées qui permettront un jour de démocratiser l’information. Ce n’est pas une « éthique » retrouvée par miracle qui rendrait le Monde, Libération ou TF1 plus « objectifs ». Mais comme le proposait le Conseil National de la Résistance en 1944, l’appropriation citoyenne de l’information.
2 comentarios:
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