jueves, julio 12, 2007
Homme, femme, ordinateur
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Homme, femme, ordinateur
L’informatique a-t-elle un sexe ?
L’informatique a-t-elle un sexe ? On aurait pu croire, au début des années 1980, quand les filles se sont engagées nombreuses dans les études d’informatique, que l’ordinateur échapperait aux pesanteurs sexistes. Puis ce métier s’est de nouveau fortement masculinisé. Femme-nature, homme-technique : la vieille séparation semble résister aux nouvelles technologies. En enquêtant sur la désaffection des étudiantes pour l’informatique, on constate que les mécanismes de cette mise à l’écart sont à rechercher ailleurs que dans ce préjugé éculé.
Par Isabelle Collet
Un métier masculin, l’informatique ? En Malaisie, l’affirmation fait sourire. A la faculté d’informatique et des technologies de l’information de Kuala Lumpur, la capitale, tous les responsables de département sont des femmes, ainsi que la doyenne. A Penang, il y a 65 % d’étudiantes en informatique, et sept de leurs professeurs (sur dix) sont des femmes, qu’encadre là aussi une doyenne. Mme Mazliza Othman, la responsable du département, déclare ne jamais avoir pensé à l’informatique comme à une discipline masculine (1) : « Ça n’en a pas l’air. Vous voyez, l’ingénierie, c’est quelque chose que les gens voient comme masculin, ou la géologie. Mais pas l’informatique. Je ne vois pas ce qu’il y a de masculin dans l’informatique ! » Les raisons qu’elle invoque : l’informatique est un travail propre, ne nécessitant pas une grande force physique ; cette activité s’exerce dans le secteur tertiaire, et permet même de travailler de chez soi.
Hors de Malaisie, pourtant, l’informatique est une branche très masculinisée. En France, c’est même la seule discipline scientifique a avoir enregistré une très forte chute de la proportion de filles. Si l’on regarde la féminisation des écoles d’ingénieurs selon leur spécialité (2), on constate en effet que la part des femmes progresse dans tous les secteurs, à l’exception de l’informatique, où, après une hausse culminant, en 1983, à 20 %, cette proportion est retombée, vingt ans plus tard, à son niveau initial (11 % en 2000, 9 % dans les promotions des années 1970). En 1983, l’informatique est, dans les écoles d’ingénieurs, le secteur le plus féminisé, à égalité avec l’agroalimentaire (6 points au-dessus de la moyenne nationale). En 2000, elle a rejoint la mécanique et la défense (13 points en dessous de la moyenne nationale), les deux secteurs traditionnellement les plus masculins.
Cette situation n’est pas propre à la France. L’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis affichent des chiffres du même ordre.
Pourtant, le nombre total de filles se destinant à l’informatique n’a pas tellement varié sur toutes ces années. Mais, à mesure que de nouvelles formations se sont ouvertes, ce sont les garçons qui s’y sont massivement engouffrés. La vraie question à se poser n’est pas, au fond, pourquoi les filles n’aiment pas l’informatique, mais plutôt pourquoi la passion pour la maîtrise de l’ordinateur, depuis le début des années 1980, a surtout touché les garçons.
Une passion masculine
Dans les années 1970, l’ordinateur était d’abord perçu comme une machine servant à la gestion de l’information, liée davantage au tertiaire, traditionnellement plus féminisé que l’industrie. Pour une jeune scientifique, l’informatique faisait partie des métiers socialement acceptables. Au début des années 1980, le micro-ordinateur commence à se répandre chez les garçons adolescents, toujours les premiers équipés quand on achète de nouveaux gadgets techniques (3). Ils seront par la suite les utilisateurs prioritaires, sinon exclusifs, de l’ordinateur familial. Autour des micros se constituent des sociétés d’adolescents technophiles, clubs informatiques et groupes de copains s’adonnant à la programmation et aux jeux vidéo – à un âge où les enjeux identitaires les poussent à rester entre eux et à s’opposer aux groupes de filles. Dix ans plus tard, ils commencent leurs études supérieures, accompagnés par un discours médiatique incantatoire repris en chœur par leurs parents. « Mon père a toujours eu une grosse peur pour nous, c’était qu’un jour on se retrouve au chômage, nous dit une informaticienne. On devait faire des études pour avoir un bon boulot, pour être bien payé, ne pas risquer le chômage, et pour lui l’informatique, c’était le top. »
Une génération a passé. Mais, en dépit des avancées techniques et des transformations du quotidien provoquées par son évolution multiforme, l’informatique s’incarne toujours, chez les étudiants et les étudiantes scientifiques, dans le micro-ordinateur et l’image mythique du programmeur. 80 % d’entre eux se représentent en effet les informaticiens comme des hommes, peu sportifs et peu attentifs à leur apparence, plus à l’aise avec des machines qu’avec des êtres humains. Ceux-ci resteraient enfermés toute la journée derrière leur bureau pour faire des choses répétitives, essentiellement de la programmation.
D’où vient ce décalage avec la réalité ? Tous ces jeunes regardent pourtant des images de synthèse, écoutent de la musique électronique, téléphonent sur leur portable et utilisent quotidiennement Internet pour envoyer des courriels, passer des commandes, télécharger de la musique ou de la vidéo... Comment se fait-il que ces nouveaux usages, massivement répandus, n’aient eu pratiquement aucune incidence sur l’image des métiers ? Comme si aucun métier de l’informatique n’était en amont de ces usages ; comme si, quels que soient les usages ou les évolutions techniques, le métier d’informaticien restait immuable. Moins de 30 % des métiers de l’informatique comportent de la programmation ; pourtant, dans les esprits, l’informaticien, le vrai, reste un programmeur.
Certes, ces informaticiens existent : ce sont les hackers, dans l’acception première du terme : « bricoleurs passionnés (4) », spécialistes des systèmes et des réseaux. Ils constituent toutefois une minorité, respectée et admirée pour ses compétences, éventuellement crainte pour ses capacités réelles ou supposées à percer les sécurités informatiques. Mais, situation paradoxale, si les hackers forment l’archétype de l’informaticien, ce profil n’est pas recherché par les entreprises. Le hacker y est souvent vu comme quelqu’un de techniquement brillant, mais incontrôlable, incapable de travailler en groupe et imperméable aux impératifs de productivité.
Cette minorité (dont l’image ambiguë, tantôt terroriste, tantôt Robin des bois, attire, fascine et repousse) est devenue l’idéal-type du métier. Elle sert de référence aux étudiants scientifiques et même aux informaticiens qui n’oseront endosser le titre que s’ils sont programmeurs. Les femmes ont bien du mal à se sentir légitimes dans une profession dont l’image ne leur ressemble pas. Elles diront : « Je fais de l’informatique » plus souvent que : « Je suis informaticienne ». Même si la toute première programmeuse était une femme.
En 1842 parut un mémoire de mathématiques sur la machine à différences de Charles Babbage, le premier ordinateur mécanique. Dans ce mémoire figure un algorithme, le tout premier de son espèce, listant les instructions permettant de calculer les nombres de la suite de Bernoulli. En particulier, ce premier programme utilisait une boucle : une suite d’instructions à répéter jusqu’à la vérification d’une condition de sortie. Ce mémoire parut sous les seules initiales A. A. L., comme il était d’usage de le faire à l’époque pour les femmes. Son auteure s’appelait Augusta Adelaïde (Ada) Lovelace et était la fille du poète romantique anglais lord Byron. Par la suite, l’armée américaine baptisa un langage de programmation du prénom de lady Ada.
1944 : l’ordinateur devient électrique. Howard Aiken, travaillant pour International Business Machines (IBM) sur le Mark I, le premier ordinateur numérique de grande taille, est à la tête d’une équipe de trois ingénieurs. On doit à une de ses membres, Grace Hopper, l’origine des méthodes de compilation. Elle savait que la seule manière d’introduire les ordinateurs dans les sphères non scientifiques ainsi que dans le secteur commercial était d’affiner le langage de programmation pour qu’il devienne une langue compréhensible par les non-mathématiciens. Sa conviction que les programmes pouvaient être écrits en anglais suscitait l’hilarité de ses collègues. A cette époque, une large diffusion commerciale n’était pas la préoccupation d’IBM, convaincu que seuls des scientifiques pourraient être capables d’utiliser des ordinateurs. En écrivant, en 1952, le premier compilateur, Hopper a permis la diffusion comme la large utilisation de ces langages, et a ainsi ouvert la porte de la programmation à tous, et non plus à une petite poignée de mathématiciens de pointe.
A ce moment-là, le logiciel ne valait rien, et le prestige revenait d’abord aux constructeurs de machine. Est-ce pour cela que l’on rencontre des mathématiciennes aux points-clés des inventions logicielles ? Plus encore que les autres domaines scientifiques, le paysage informatique souffre d’une quasi-absence de femmes, privant les filles de modèles d’identification positive. La division socio-sexuée des savoirs attribue les sciences et techniques aux hommes dès l’enfance, des manuels scolaires aux films, dans les bandes dessinées et autres représentations du quotidien. Or, faire un projet d’orientation, c’est imaginer une future image de soi possible et désirable (5). On ne se projette pas dans une profession pour laquelle on estime n’avoir aucune affinité et uniquement occupée par des personnes qui ne nous ressemblent pas. Si les filles comme les garçons sont de grands utilisateurs de l’ordinateur, elles ne semblent pas vouloir en acquérir la maîtrise.
Lors de l’enquête précédemment citée auprès des étudiants et étudiantes en sciences, deux tiers des filles (contre 40 % des garçons) disent ne pas savoir si les métiers des techniques de l’information et de la communication (TIC) pourraient ou non les intéresser (6). Elles n’ont souvent aucune idée de ce que fait un informaticien ou une informaticienne de ses journées. Alors, pour décrire le métier, beaucoup de filles et aussi des garçons n’ont d’autre solution que de convoquer le stéréotype. L’une d’elles dira : « Je ne me vois pas particulièrement toute la journée à parler de circuits imprimés, de RAM, et de réseaux », une autre : « Je ne veux pas passer ma journée à m’occuper de machines, je préfère m’occuper d’enfants ou parler avec des gens. » Beaucoup diront plus sobrement : « Ça ne m’intéresse pas », sans pouvoir préciser pourquoi, simplement à cause de « l’idée qu’on s’en fait ».
Sortir des stéréotypes
A l’opposé, les diplômées racontent avoir choisi ce métier pour des raisons en phase avec les réalités du monde professionnel : elles parlent de la grande diversité du métier, de son imbrication au sein de multiples secteurs professionnels, de la possibilité d’apprendre toujours des choses nouvelles, des défis intellectuels, de l’importance du relationnel et du travail en équipe...
Bien sûr, ces informaticiennes ont rencontré des obstacles dans leur carrière : suspicion d’incompétence, progression salariale inexplicablement plus lente que celle de leurs collègues masculins, paralysie de la carrière autour de 30 ans, au moment où les employeurs craignent de les voir enceintes. L’existence de ces obstacles ne doit pas nous faire perdre de vue la réussite professionnelle et personnelle de beaucoup de femmes, dans un secteur qui connaît assez peu de chômage et dans lequel les salaires à l’embauche ne diffèrent plus selon le sexe.
Finalement, quand on compare les arguments des informaticiennes en faveur de leur métier à un certain nombre de « mauvaises raisons » invoquées par celles et ceux qui se déclarent peu intéressés par les métiers de l’informatique, on se dit qu’il pourrait être très simple de renverser les tendances. Il « suffirait » de faire connaître les réalités des métiers de l’informatique et d’abattre le stéréotype de l’informaticien-hacker (au lieu de le renforcer continuellement) pour que davantage de jeunes filles se disent que l’informatique est peut-être un métier tout à fait envisageable, ouvert sur le monde, en perpétuel changement, rempli de défis intellectuels et humains à relever (7). Avec l’espoir qu’un jour, comme le disent les Malaisiennes, on ne voie plus ce qu’il y a de masculin dans l’informatique.
Isabelle Collet.
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