Bolivarisme économique
Souveraineté pétrolière, réformes sociales et indépendance financière au Venezuela
par Salim Lamrani*
Le Venezuela a terminé le processus de réappropriation du secteur énergétique, jusque là aux mains de sociétés transnationales. Il a affecté les revenus de la rente pétrolière au paiement anticipé complet de la dette publique et aux réformes sociales, telles que le spectaculaire relèvement des minima sociaux. Une politique de souveraineté nationale et de progrés social, à contre courant de la globalisation, qui exaspère Washington.
11 juin 2007
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Paris (France)
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Globalisation économique, privatisation des services publics
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Raffinerie de pétrole au Venezuela
Le 1er mai 2007, le gouvernement vénézuélien a récupéré sa souveraineté énergétique en procédant à la nationalisation de la Bande pétrolifère de l’Orénoque, économiquement très lucrative et qui contient les plus importantes réserves mondiales. Désormais, l’entreprise pétrolière d’État Petroleos de Venezuela SA (PDVSA) contrôlera au moins 60 % des opérations de la région. Les multinationales étrangères auparavant en charge du domaine, telles que la British Petroleum [1], Exxon Mobil [2], Chevron [3], ConocoPhillips, Total et Statoil ASA, pourront participer à l’extraction de pétrole mais seulement en tant que partenaires minoritaires [4].
L’ouverture pétrolière au capital étranger, initiée il y a plus de 10 ans, avait entraîné une saignée économique sans précédent au sein du pays, avec des conséquences sociales désastreuses. Les profits faramineux effectués par les transnationales étaient constamment rapatriés et ne servaient nullement au développement de la nation. De plus, l’État a perdu plusieurs dizaines de millions de dollars car les entreprises pétrolières privées ne payaient pratiquement aucun impôt. En effet, la taxe sur le profit pendant les années 1980 et 1990 était incroyablement basse et ne dépassait pas 1 %. À titre de comparaison, au début du 20ème siècle, sous le gouvernement de Juan Vicente Gómez, l’impôt était déjà de 3 % [5].
« Les gouvernements de la quatrième République, l’élite qui a gouverné le Venezuela dans les années 1980 et 1990 [qui] a offert ces zones où il n’y a aucun type de risque pour l’exploitation du pétrole » sont les principaux responsables de la spoliation du pays et de la violation de la « souveraineté nationale », a dénoncé le président Hugo Chávez [6]. « Nous avons enfin enterré 10 ans d’ouverture pétrolière », a-t-il ajouté. Dorénavant, les ressources naturelles de la région ne seront plus destinées à enrichir les actionnaires des multinationales mais à construire le « socialisme du 21ème siècle ». « Aujourd’hui, c’est la fin de l’époque où nos richesses naturelles finissaient toujours dans les mains de tous sauf du peuple vénézuelien [7] », a conclu le leader bolivarien, ajoutant qu’il ne pouvait y avoir de projet national si le pays n’avait pas le contrôle de ses richesses, de ses ressources naturelles et de son économie [8].
Le président du Venezuela a également annoncé que les multinationales pourraient être traduites en justice pour avoir violé les accords signés en procédant à l’extraction du pétrole hors des zones définies, et en n’utilisant pas la vapeur d’eau à cet effet. Ces infractions ont « causé un préjudice très grave au patrimoine national » selon le gouvernement. PDVSA ne peut désormais plus extraire du pétrole dans certains puits car les conditions initiales de pression et de températures n’existent plus. Les transnationales étrangères « puisaient 7 % [du pétrole présent] et changeaient de puits, et ainsi de suite, occupant même dans certains cas plus du double de l’extension territoriale convenue dans le contrat, sans en informer personne, sans payer un centime », a souligné Chávez [9].
Ces nouvelles nationalisations permettent désormais au pays de disposer de plus de 400 000 barils de pétrole de plus par jour produit la Bande pétrolifère de l’Orénoque, dont la capacité est de 600 000 barils quotidiens. « Jusqu’à présent, nous ne pouvions pas disposer de ces barils. Ces entreprises nous payaient une misère et emportaient le pétrole », notait le président, indiquant au passage que ce temps était désormais révolu. Ces nouvelles ressources énergétiques renforcent considérablement le pouvoir économique du pays et vont substantiellement améliorer le niveau de vie de la population [10].
Lutte contre le latifundio et promotion de l’agriculture
Depuis sa première élection en 1998 et conformément à la Constitution, le gouvernement Chávez a récupéré près de 2 millions d’hectares, soit 28,74 % des terres productives, aux latifundiaires sur les 6,5 millions d’hectares qui doivent être nationalisés. L’objectif est de développer le domaine de l’agriculture et d’atteindre une certaine souveraineté alimentaire. 49 % des terres récupérées ont été redistribuées aux paysans, 40 % sont destinées à des projets stratégiques et 11 % ont été remises à des coopératives. Le pays dispose d’une superficie agricole globale de 30 millions d’hectares dont la majeure partie est concentrée entre les mains de gros propriétaires [11].
À Hato Calleja, dans l’État de Barinas, un seul individu occupait 24 800 hectares de terres fertiles quasiment laissées à l’abandon. Le président de la République a souligné que cette situation était inacceptable : « Ce sont des latifundios, des terres fertiles et improductives. Ceci est un attentat contre l’intérêt national, cela viole la Constitution et tous les principes de la justice, du droit, de la sécurité et de la souveraineté du pays [12] ».
En mars 2007, le nouveau Plan intégral de développement agricole a été lancé avec comme objectif d’atteindre la pleine souveraineté alimentaire au sein du pays. L’accent a été mis sur la culture du riz, de la canne à sucre, du cacao, du café, de l’élevage, de la pêche et de l’apiculture, du coton, des tubercules et des fruits et légumes. Chávez a expliqué que l’idée était « d’impulser le nouveau modèle de production sur la base des principes du socialisme agraire et de la propriété sociale [13] ».
Protection de l’environnement
Parallèlement à cela, le ministère de l’Environnement a entrepris une politique d’assainissement des bassins fluviaux afin de généraliser l’accès à l’eau potable à l’ensemble de la population. Les côtes et les plages seront également nettoyées afin de favoriser le tourisme, promouvoir l’activité économique et surtout améliorer la qualité de vie des Vénézuéliens. Ces mesures s’inscrivent dans la continuité des réformes adoptées depuis l’arrivée de Hugo Chávez au pouvoir. En 1998, 80 % des habitants des villes avaient accès à l’eau potable. Ils sont désormais 92 % grâce aux énormes investissements effectués dans ce secteur. Au niveau rural, des efforts ont également été accomplis passant de 55% en 1998 à 71% en 2006 [14].
Depuis 1998, le traitement des eaux usées est passé de 10 % à 25 %. Certains États avant-gardistes comme Nueva Esparta et Isla Margarita atteignent un chiffre de 92 % dans ce domaine. Le Venezuela dispose désormais de plus de 100 usines d’épuration. De plus, un grand projet a été mis en place afin de nettoyer les grands lacs du pays tels que ceux de Valencia et Maracaibo [15].
Réformes sociales
À l’occasion de la fête du travail du 1er mai 2007, le président de la République Bolivarienne du Venezuela a annoncé une hausse spectaculaire de 20 % du salaire minimum, qui devient désormais le plus élevé du continent latino-américain avec 286 dollars mensuels. Même au Chili, considéré comme le modèle économique néolibéral, le salaire minimum n’est que de 250 dollars. Dans de nombreux pays du continent, le revenu minimum n’atteint même pas 100 dollars. Contrairement aux précédents gouvernements, Chávez a régulièrement augmenté le revenu de base depuis 1998 où il stagnait à 118 dollars. Puis il est passé à 154 dollars en 2003 malgré le terrible sabotage pétrolier orchestré par l’opposition qui a coûté plus de 10 milliards de dollars à l’économie du pays. Enfin, en 2005, il a atteint 192 dollars [16].
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Station service de la compagnie nationale Petroleos de Venezuela
À titre de comparaison, sous la 4ème République, le salaire de base, dans le meilleur des cas, stagnait et parfois même diminuait. En 1996, alors que l’inflation du pays avait atteint un taux vertigineux de 100 %, le salaire minimum était de 36 dollars seulement, alors qu’en 1994, il était de 101 dollars et en 1992 de 132 dollars [17].
De plus, les adultes d’un certain âge n’ayant jamais travaillé disposeront d’un revenu de protection équivalent à 60 % du salaire minimum. Les femmes seules ainsi que les personnes handicapées recevront une allocation équivalente à 80 % du salaire minimum. Les mères au foyer âgées de 61 ans recevront désormais une pension complète avec une priorité donnée aux plus pauvres. En plus de la hausse du salaire de base et des aides envers les défavorisés, le gouvernement bolivarien a prévu de réduire le temps de travail à 6 heures par jour et 36 heures hebdomadaires à partir de 2010 sans diminution de salaire. Cet important progrès social est le symbole de la volonté du gouvernement Chávez d’améliorer le sort des plus déshérités [18].
Le président Chávez a également annoncé que l’État procèderait au paiement rétroactif des pensions pour l’année 2006. Cette mesure devrait bénéficier à près de 88 000 retraités. Le service de sécurité sociale disposait de comptes de pensions congelés depuis 10 ans. Le leader bolivarien s’est insurgé contre cette situation : « Cela fait partie de la remise en ordre nationale et la lutte contre tant de vices et de corruption existants dans le secteur public et privé [19] ».
Au niveau de l’éducation, le gouvernement inaugurera près de 2 379 nouvelles écoles bolivariennes à travers le pays en 2007. Ces installations viendront s’ajouter aux 5 875 écoles bolivariennes déjà existantes sur le territoire national. « Nous devons fournir les plus grands efforts possibles pour le thème éducatif » car, comme le soulignait Simón Bolívar, « les nations marcheront vers la grandeur avec le même pas que marchent leur éducation », notait Hugo Chávez. Pour lui, l’école doit être l’épicentre du travail social et communautaire [20].
L’universalisation de l’accès à l’éducation élaborée depuis 1998 a eu des résultats exceptionnels. En 2007, le Venezuela compte près de 12,7 millions d’enfants scolarisés sur une population de 26 millions d’habitants. Le nombre d’inscrits n’a cessé d’augmenter depuis l’arrivée de Chávez au pouvoir. En 2001, il était de 6,9 millions ; en 2002, il a atteint le chiffre de 9,5 millions pour se stabiliser à 11,3 millions en 2004. En 2005, il y avait 11,8 millions de scolarisés et 12,1 millions en 2006. Cette augmentation régulière et massive souligne l’efficacité de la politique éducative du gouvernement bolivarien. La massification de l’éducation a également été accompagnée par une sensible amélioration de la qualité de l’enseignement [21].
La faillite du FMI et de la Banque mondiale et l’espoir de la Banque du Sud
Le 13 avril 2007, Anoop Singh, Directeur du département pour l’Hémisphère occidental du FMI a fait part de sa volonté de rencontrer le gouvernement vénézuélien afin de discuter du problème de l’inflation qui frappe le pays : « Je voudrais non seulement faire une recommandation mais également avoir une discussion avec les autorités ». Mais il est peu probable que le désir de Singh soit assouvi [22].
En effet, le FMI est le principal responsable des crises dramatiques qui ont ravagé les économies latino-américaines dans les années 1990 et 2000. Censé officiellement « lutter contre la pauvreté », il ne fait en réalité que perpétrer la colonisation économique dont sont victimes les pays sous-développés. Les accords signés avec l’organisation internationale et les plans d’ajustement structurel imposés ont ruiné les populations du continent. Ses prêts à taux d’usurier, au lieu de développer l’économie, ne servaient qu’à piller les richesses de ces nations au bord de l’abîme, écrasées par une dette illégitime et impayable.
De plus, ses recettes draconiennes, qui constituent un affront inacceptable à la souveraineté des nations latino-américaines, sont la cause du désastre économique, social et humain qui frappe le Nouveau monde. Le FMI est désormais une institution honnie sur le continent et ne dispose quasiment plus d’aucune influence. En effet, contrôlé en majorité par Washingon et utilisé pour promouvoir les intérêts des multinationales étasuniennes, il a perdu toute crédibilité.
La banqueroute morale du FMI et de la Banque mondiale est telle que le Venezuela, qui a remboursé toutes ses dettes vis-à-vis de ces institutions, vient de formaliser son retrait de ces entités. « Messieurs de la Banque mondiale, messieurs du Fonds monétaire international, au revoir. Le Venezuela est libre et souverain », a annoncé Rodrigo Cabezas, ministre des Finances. En remboursant par anticipation sa dette qui courrait jusqu’en 2012, le pays a économisé 8 millions de dollars. Le FMI a d’ailleurs fermé ses bureaux au Venezuela à la fin de l’année 2006. « Nous fermons un cycle historique d’endettement avec les organismes multilatéraux », a ajouté Cabezas [23].
Les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI en 1989 au Venezuela avaient entraîné une inflation sans précédents et une misère qui avait, à son tour, amené la population au désespoir. La seule réponse du gouvernement de l’époque avait été d’envoyer l’armée réprimer férocement le peuple, faisant des centaines de victimes [24].
L’exemple vénézuélien
La décision du Venezuela constitue sans aucun doute un exemple pour l’Amérique latine et les nations endettées du Tiers-monde. Le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay ont suivi Caracas en réglant par anticipation leurs dettes au FMI. L’Équateur est en passe de suivre le même chemin. En plus de cela, le Venezuela a lancé l’idée de créer à partir de juin 2007 une Banque du Sud destinée à développer les nations latino-américaines et à promouvoir une intégration économique régionale. Contrairement au FMI et à la Banque mondiale, la logique ne sera plus financière, destructrice et spoliatrice mais émancipatrice, constructive et solidaire [25].
Le président brésilien, Luiz Inacio Lula Da Silva, a rendu hommage à Hugo Chávez qu’il a qualifié « d’allié exceptionnel au niveau politique et commercial ». Les tentatives de l’administration Bush de créer des tensions entre les deux grandes nations sud-américaines se sont soldées par un échec. « Avant Chávez, le Venezuela était quasiment totalement dépendant des États-Unis. Hugo Chávez est un président latino-américain visant à donner une priorité à la question latino-américaine. Le Venezuela se montre aux yeux du monde comme un pays souverain, avec un potentiel et une plus grande capacité d’aider », a salué Lula [26].
Le Venezuela constitue la parfaite illustration du renouveau latino-américain où les peuples ont porté à la tête de plusieurs nations des leaders représentatifs de l’intérêt général, avec une réelle volonté politique de mettre un terme aux inégalités qui dévastent le continent. Au-delà des résultats extraordinaires qu’a obtenus le gouvernement bolivarien depuis 1998, Chávez est porteur d’une alternative crédible au néolibéralisme sauvage défendu par Washington. Son influence et son exemple dépassent les frontières du continent pour inonder le reste du monde et même certains secteurs des pays développés. C’est ce qui explique l’obsession frénétique et extrêmement inquiétante de l’administration Bush vis-à-vis de Caracas.
Salim Lamrani
enseignant, écrivain et journaliste français
1 comentario:
Luis, la photo ne s'affiche pas.
Sinon, bravo pour le blog !
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